Les 24 Heures du Mans et Ferrari vus par Luigi Chinetti Jr
Les 24 Heures du Mans 1971 ont marqué à la fois l’instauration du départ lancé ainsi que la première participation de Luigi Chinetti Jr, au volant bien sûr d’une Ferrari engagée par le NART, l’équipe de son père, lui-même triple vainqueur en tant que pilote. Pour saluer cet anniversaire, Luigi Chinetti Jr ouvre en quelques confidences et anecdotes un merveilleux livre de souvenirs sur une saga familiale italienne, américaine… et sarthoise.
Pour Luigi Chinetti Jr, la vie se déroule au rythme du cheval cabré. Il y a bien sûr trois participations aux 24 Heures du Mans : en 1971 avec Bob Grossman (5e) ; en 1972 avec Masten Gregory, vainqueur en 1965 sur Ferrari (abandon) ; et en 1973 avec François Migault (13e). Et aussi la saga du North American Racing Team (NART), l’écurie créée par son père, qui développe également l’implantation de Ferrari sur le marché américain. Une saga que Luigi Chinetti Jr raconte avec vivacité et malice.
"Aux 24 Heures du Mans 1949, j'avais sept ans, j'étais sur le capot de la Ferrari de papa en chapeau de cow-boy et en culottes courtes."
Luigi Chinetti Junior
Luigi Chinetti de père en fils aux 24 Heures du Mans 1949-1965 – Luigi Chinetti père occupe une place unique dans l’histoire de Ferrari aux 24 Heures du Mans, en signant en tant que pilote la première victoire de la marque en 1949, puis la neuvième et dernière en 1965 en tant que patron d’écurie. Pour son fils Luigi Jr, cette période est celle de la petite enfance puis de l’âge adulte : « En 1949, j’avais sept ans. J’étais sur le capot de papa en chapeau de cow-boy et en culottes courtes. Dans les années 1960, je prenais des photos et je faisais le panneautage à Mulsanne. Il y avait Pedro Rodriguez et bien d’autres. Au NART, nous avons eu 120 pilotes différents, mais tous n’ont pas couru au Mans. Quand Pedro Rodriguez était là, nous étions toujours dans le coup et le public du Mans adorait les frères Rodriguez. En 1961, ils menaient la course devant Olivier Gendebien et Phil Hill (futurs vainqueurs cette année-là, ndlr) et l’équipe d’usine n’était pas spécialement ravie (sourire). En 1965, environ une demi-heure avant la fin de la course, le chef des ventes Gaetano Florini a demandé à papa si on pouvait laisser gagner les Belges (la Ferrari de Pierre Dumay et Gustave Gosselin engagée par l’importateur belge de Ferrari Jacques Swaters, ndlr), en faisant ralentir Jochen Rindt et Masten Gregory. Mais il n’a pas eu beaucoup de succès, évidemment (sourire), et nous avons remporté la course. »
Souvenirs des 24 Heures du Mans 1971 – À 29 ans, Luigi Chinetti Jr dispute en tant que pilote ses premières 24 Heures du Mans au volant d’une Ferrari 265 GTB/4 du NART, associé à l’Américain Bob Grossman (onze participations aux 24 Heures, dont huit sur Ferrari) : « En 1971, j’ai découvert le circuit à faible allure. Le banquier Pierre Louis-Dreyfus, qui a beaucoup roulé au Mans sur Ferrari, est allé voir mon père avant la fin des qualifications et je l’ai entendu lui dire : « Monsieur Chinetti, votre fils est trop lent ! » (sourire) Et c’est vrai, j’étais très, très lent, j’avais qualifié la voiture à l’extrême limite. Nous étions tellement loin sur la grille (33e, ndlr) qu’il fallait presque nous envoyer un télégramme lors du départ lancé (sourire), mais nous avons bien terminé la course. C’était très drôle, pour ma première participation, Masten Gregory était là. Il m’a dit, avec sa grosse voix du Midwest (il était originaire de Kansas City, dans l'État du Missouri, ndlr) : « Écoute ton père, il connaît bien ce sacré circuit » et il avait raison ! En 1971, face aux Porsche 917 de Gulf et Martini, nous avions au NART la Ferrari 512 M. Sam Posey et Tony Adamowicz la pilotaient (troisièmes à l’arrivée, ndlr) et Sam disait de la 512 M qu’elle était fabuleuse et très facile à piloter. Ces voitures, je ne les voyais en course que lorsqu'elles me doublaient (sourire) ! »
"En 1971, je ne voyais les Ferrari 512 et Porsche 917 que lorsqu'elles me doublaient."
Luigi Chinetti Junior
Daytona 1971, 24 heures avec une voiture pas comme les autres – Quelques mois avant le premier de ses trois départs aux 24 Heures du Mans, Luigi Chinetti a disputé les 24 Heures de Daytona associé à l’Américain Gregg Young… au volant de la Ferrari 250 LM victorieuse au Mans en 1965 : « Nous n’avions pas beaucoup d’argent, alors pour pouvoir courir il fallait que je vende la voiture au préalable, comme papa l’avait fait pendant les années 1930. J’avais donc convaincu un jeune client d’acheter la 250 LM, qu’il avait dû payer environ $ 10 000 de l’époque. Puis nous avons emmené la voiture à Daytona, elle était alors déjà assez ancienne. La boîte de vitesses sautait sur la troisième. J’ai dit au mécanicien de Ferrari, qui était un génie, de la refaire. Il m’a répondu qu’il valait mieux penser à faire le premier relais parce qu’elle n’allait pas durer… Et elle a finalement duré 23 h 40 ! Pendant les vingt dernières minutes de course, nous étions un peu arrêtés, la boîte faisait du bruit. Nous avons finalement terminé dans le top 10 (septièmes, ndlr), mais la voiture était vraiment fatiguée. Cela dit, la 250 LM était une voiture fabuleuse, très rapide et facile à conduire. Une voiture adorable ! »
L’art de vendre des Ferrari aux États-Unis – Outre les activités en compétition de North American Racing Team (NART), Luigi Chinetti père développe l’importation de Ferrari outre-Atlantique, à laquelle contribue également son fils : « Quand j’avais 16-17 ans, nous vendions des Ferrari à New York. J’ai commencé à faire les essais route avec les clients. Je me souviens d’un client qui a regardé la voiture et a demandé « qu’est-ce que c’est, ça ? » Je lui ai répondu que c’était la pédale d’embrayage et que « ça allait avec le truc au milieu » (il mime un levier de vitesses, ndlr), alors il a été un peu surpris (sourire) ! Un jour, j’étais dans le bureau de M. Ferrari avec notre directeur new-yorkais. Je leur ai dit que, pour la clientèle américaine, il fallait la climatisation et la boîte de vitesses automatique. Enzo Ferrari ne l’a pas très bien pris et a demandé à notre directeur new-yorkais ce qu’il en pensait, et il lui a répondu que j’avais raison, parce qu’on ne roule pas vite aux États-Unis, disons 120 km/h maximum. Je crois qu’ils n’ont pas très bien compris à l’époque, mais aujourd’hui, Ferrari, ça marche très bien aux États-Unis, c’est fabuleux, ils ont très bien travaillé sur le marketing ».
PHOTOS (LOUIS MONNIER / ACO) : LE MANS (SARTHE, FRANCE), 24 HEURES DU MANS, VENDREDI 14 JUIN 2019. Luigi Chinetti Junior (ci-dessus à droite) en ouverture de la Parade des Pilotes à bord de la Ferrari 166 MM du Musée des 24 Heures, don de Luigi Chinetti père et conduite par l'historien des 24 Heures Hervé Guyomard. C'est un exemplaire de cette voiture qui avait signé en 1949 la première victoire de Ferrari dans la Sarthe.
Voici un demi-siècle, les 24 Heures du Mans ont vu l’instauration de la procédure de départ lancé toujours en vigueur aujourd’hui. Mais cette 39e édition est riche d’autres nouveautés, records et autres grandes premières. En voici quelques histoires marquantes.